Les meilleures histoires rendent l’intime universel

Je n’ai jamais eu l’impression de m’intéresser particulièrement à Françoise Hardy.

Elle ne figurait d’ailleurs pas dans ma liste d’artistes préférés sur mon application musicale de choix.

Et pourtant quand j’ai appris sa disparition c’est comme si on m’avait annoncé la mort d’une personne de ma famille.

Je savais que l’odorat était le sens le plus activateur de la mémoire. D’ailleurs, immanquablement, quand je sens l’odeur si particulière de la banane cuite à la poêle, je suis immédiatement projetée dans la cuisine de ma grand-mère vénézuélienne, à Maracay, lorsqu’elle me préparait ses repas gargantuesques composés d’un beefsteak (de l’abattoir de mon grand-père), de riz blanc, de “frigoles negros” (haricots noirs) et de tostones (bananes vertes) et de maduritos (petites bananes mûres).

Mais je ne m’étais pas rendue compte à quel point l’ouïe pouvait aussi être une puissante time machine.

La chanson “Tous les garçons et les filles”, premier tube de la chanteuse et symbolique de son style nostalgique et intimiste, a systématiquement l’effet de me transporter instantanément à mon adolescence.

Je me retrouve à chaque fois en Seine-et-Marne, dans l’intimité de la chambre sombre de mon amie d’enfance Olivia, née le même jour que moi.

Cela sentait le feu de bois et la cigarette, et il y faisait une température glaciale. Sa mère, Jane, qui l’élevait seule, coupait souvent le chauffage pour faire des économies. Aplaties sous des tonnes de couvertures, seul le bout de notre nez bravait le froid, comme en bivouac.

Nous n’osions sortir de nos lits de Princesses au petit pois qu’en cas d’impératif majeur – pour remettre le tourne-disque en marche quand la face A du disque vinyle était terminée.

À l’époque nous dessinions avec des stylos parfumés, portions des Stan Smith aux pieds et des cartables Tann’s sur le dos. Enfin elle surtout, car ma mère, en tant qu’étrangère économe qui voyait les modes comme des excuses pour payer plus cher pour rien, refusait de céder à ces mœurs locales.

Déjà que nous ne parlions pas le français à la maison, que je n’avais pas la télévision ni le droit de porter des jeans Levi’s ni d’aller aux “boums” s’il y avait un seul garçon, je me sentais très différente des autres enfants de mon âge.

Donc les paroles de cette chanson résonnaient particulièrement dans ma tête. Elle m’était destinée. Elle était écrite pour moi.

C’est le talent tout particulier des grandes plumes que de savoir rendre universelles et intimes leurs propres hashtag#histoires.

Le départ de Françoise est un adieu qui m’éloigne un peu plus de mon enfance. Il me fait chérir ces moments de bonheur qui sont cousus comme de la dentelle, sans qu’on le sache, par le temps qui passe.Show translation

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